Qu’est-ce que la Bible Historiale

Entre la parution de la Vulgate et le XIe siècle en France, la Bible est essentiellement lue en latin.

La Réforme de la Vulgate dans l’Empire franc est l’œuvre de Charlemagne et la papauté n’a eu qu’une influence mineure. Le siècle de Charlemagne est[1] celui de « l’affrontement et de la dispersion de deux types de manuscrits, ceux émanant d’Angleterre et ceux circulant depuis l’Espagne ». Deux hommes vont incarner cet antagonisme, Alcuin et Théodulfe. Le premier fait venir, en 796, de York, sa ville natale, la bibliothèque que lui a léguée son maître avec les meilleurs manuscrits de la Vulgate qu’il connaissait. Or ce dernier est l’héritier du travail déjà ancien entrepris auparavant en Angleterre sur la Bible où se développent précocement en Europe les premières traductions en langue vernaculaire du texte latin. La période carolingienne est donc, avec Alcuin et Théodulfe, la grande période charnière de redécouverte du texte avant la grande réforme franciscaine des textes latins. Il est même important de rappeler que l’Université, avant la réforme carolingienne ne connaissait le texte que de seconde main. Rappelons enfin que l’éradication des pratiques païennes dans les provinces bretonnes, par exemple, date du IXe siècle. Entre le XIe et XIIIe siècles, on raconte la Bible en français. C’est-à-dire qu’on écrit un roman en vers qui expose les faits des héros bibliques. Il s’agit de longs poèmes en vers qui racontent de manière subjective ces aventures. Les récits sont parfois elliptiques ou romancés pour en faciliter le souvenir : il s’agit en fait d’une catéchèse.

En même temps, on raconte aussi les histoires de la Bible en latin : c’est le texte de Comestor intitulé « L’Historia Scholastica ». Il s’agit d’un ouvrage rédigé à l’intention des moines itinérants en guise de pro memoria dans la perspective des disputes qu’ils auraient pu avoir à soutenir. Il s’agit de petits ouvrages qui traitent de la matière biblique en la divisant en chapitres clairement distingués. Pour chaque personnage, on trouve mention d’une citation de la Glossa Ordinaria ou d’un fait d’érudition.

Le texte latin de l’« Historia Scholastica » de Petrus Comestor, vade-mecum des moines itinérants, premier livre d’histoire de la main de Petrus Comestor (1179), s’est imposé pendant une courte période de l’histoire comme référence incontestable et unique encyclopédie à portée de main tant des étudiants que des moines prêcheurs ou des femmes que l’on peut, à la lumière des belles histoires racontées par Le Mangeur, qualifier de romanesques.

L’influence de Pierre Comestor sur la perception du texte au XIIIe siècle est fondamentale. Son ambition pédagogique trouvera son aboutissement dans deux ouvrages qui vont révolutionner la pensée occidentale, l’Histoire générale d’Alphonse X et la Bible historiale de Guyart des Moulins. Cette dernière servira de base à plus d’une traduction moderne à commencer par celle tant reconnue de Jean de Rély, ce dernier s’étant simplement contenté d’y plaquer la division en versets. Jusqu’au XIIIe siècle, la Bible n’était qu’une collection de livres traduits rangés dans un ordre variable (Samuel Berger a recensé deux cents dispositions différentes). La Bible historiale se lit en chapitres avec, en tête, des rubriques ou des sommaires qui en résument le contenu, conformément à l’usage grec.

Le fait que l’on ait autant besoin de raconter suffit à prouver que les érudits de l’Université ne connaissaient pas bien le texte de la Bible et qu’ils avaient besoin d’acheter des copies en français pour leur permettre de travailler leurs références.

La Bible en prose au Moyen Âge commence avec une première Bible, la « Bible de l’Université » plus pompeusement connue sous le nom de « Bible du treizième siècle ». Il s’agit d’un texte publié sous le règne de saint Louis (ca. 1250) et dont il n’existe que quelques manuscrits du Livre de la Genèse dont on sait depuis les études de Samuel Berger à la fin du XIXe siècle qu’ils ont servi à compléter des exemplaires incomplets de la Bible historiale de Guyart des Moulins avec qui les lecteurs la confondaient. L’histoire de la traduction moderne en prose à l’image de ce que nous connaissons aujourd’hui commence donc à la fin du XIIIe siècle avec la Bible historiale de Guyart des Moulins. A qui demanderait « quelle Bible lisait-on en français au Moyen Âge ? », il faudrait répondre en synthèse :

– que si l’idée est communément répandue que le Moyen Âge est un temps « très chrétien », on a trop souvent tendance à reporter au temps de la Réforme la naissance d’un véritable travail d’édition de la Bible en ramenant toute tentative antérieure au prototype de l’hérétique ou du clerc isolé. Pourtant, à côté des Bibles hérétiques comme « La Noble Leçon » des Vaudois, ont existé des Bibles « universitaires » qui ont abondamment circulé dans le milieu des clercs de l’Université parisienne et des Écoles entre 1250 et 1450. Il s’agit de la Bible dite « de saint Louis » ou « de l’Université » ou encore « du treizième siècle » et de la Bible historiale de Guyart des Moulins.

– qu’il n’y a qu’une et une seule Bible française, la Bible historiale de Guyart des Moulins publiée à la fin du XIIIe siècle (n’ayant à ce jour fait l’objet d’aucun travail d’édition, et inaccessible à la communauté des chercheurs).